Le premier train de la journée
aurait été trop tardif et il avait en avait pris un la veille au soir afin de
pouvoir honorer son rendez-vous de neuf heures. Il repartirait une fois ses
affaires finalisées, dès la fin d’après-midi.
Un dîner était donc la seule
possibilité de se voir dans ce laps de temps. Elle en avait été avertie par un
message laconique : « je serai là
mardi soir, ayant un dossier à traiter le mercredi près de chez toi. Disponible
pour dîner ? ». Ces seules phrases avaient glissées des papillons
dans son ventre et elle se voyait déjà l’entraîner chez elle pour profiter de
lui les quelques heures séparant le dessert du petit-déjeuner. Pour être tout à
fait honnête, elle se voyait déjà son dessert et égrainait en souriant les
différentes pâtisseries auxquelles elle pouvait s’identifier, à commencer par
la crème fouettée bien sûr...
Elle n’hésitait donc pas un instant
en répondant rapidement d’un « oui M… »
et frémit en voyant un « parfait »
s’afficher brièvement en retour sur l’écran de son smartphone.
Sauf que.
Sauf que l’exercice était bien
celui d’un dîner à deux. Intime certes mais un dîner, étant informée d’emblée
qu’il lui restait du travail et ne pourrait prolonger très longtemps ce moment.
Son cœur se serra au même moment que ses cuisses, sa bouche émettant quant à
elle un « ah… » franchement
dépité. Oublié le temps passé dans la salle de bains puis devant son placard
rempli à chercher la bonne tenue. Oubliée la boite en haut de l’étagère dans laquelle
elle était allée chercher les compléments indispensables à sa robe légère. Oubliées
les supputations sur les scenarii qui auraient pu venir conclure la fin de
soirée.
Et le dîner se passa. Des mets
délicats, un bourgogne blanc, une conversation parfois badine et parfois profonde.
Plus le temps filait, plus elle s’enfonçait sur son siège, guettant un signe de
revirement qui ne venait pas. Plus le temps filait, plus il menait la
conversation sur le ton aimable d’un salon mondain et plus elle croyait déceler
au coin de ses lèvres un sourire s’agrandissant. Plus le temps filait et plus
elle avait le sentiment qu’il prenait un malin plaisir à se détacher de ce tête
à tête, dans le seul but de la faire souffrir à petit feu.
Une idée lui traversa alors l’esprit :
n’aurait-il eu l’idée de ce dîner que pour la faire languir ? Se délecterait-il
d’une telle cruauté ordinaire et froide, si loin de la cruauté plus chaude qu’elle
espérait ? Son cœur se remettait à battre plus vite à cette pensée, ses cuisses
se desserraient de nouveau et elle se mordait les lèvres de n’avoir su profiter
de cette nouvelle épreuve au moment où le maître d’hôtel apportait l’addition.
Perdue dans ces pensées, c’est à
peine si elle entendait qu’il lui parlait. Elle sursauta dans un « pardon ?! » pour signifier qu’elle
recollait à la conversation. Il reprit : « bienvenue de nouveau parmi nous. Comme je le disais il y a un instant,
je suis désolé mais je dois y aller. J’ai encore des documents à relire pour
demain. ». Elle se rembrunit encore, et ce d’autant plus qu’il ne
cessait de sourire. Jusqu’au moment où elle entendit « je ne vais quand même pas te laisser comme
ça après un aussi bon moment avec une aussi jolie femme… » Il détacha
sa montre de son poignet et dévissa nonchalamment le poussoir du chronographe, cherchant
en même temps un objet dans sa poche. Il posa un petit étui en suédine sur la table
et indiqua avec un air détaché « voici
ce que je te propose : je déclenche mon chronographe et à partir de ce
moment tu as deux minutes pour t’éclipser où tu veux et introduire ce Rosebud
dans ton cul. Deux minutes, pas une seconde de plus. Si tu réussis, je t’autoriserai
à me ramener à mon hôtel et décommande le taxi ». Le voyant appuyer
sur le poussoir, elle ne répondit même pas, arracha l’étui de la table et
partit en trombe en renversant sa chaise.
Elle revint peu de temps après,
les joues en feu et les fesses tout aussi serrées que son estomac, soumise qu’elle
était devenue au verdict d’une paire d’aiguilles de montre…